Le jazz est né aux USA au 20e siècle. Il puise ses racines dans les formes d’expression musicale importées d’Afrique par les esclaves et dans le métissage de différentes cultures. Son histoire épouse le chemin tourmenté vers l’accès à l’égalité des droits de la communauté noire et l’évolution de la musique enregistrée.

Le blues : aux fondements du jazz

Cette musique nait dans le delta du Mississipi à la fin de la Guerre de Sécession (1861-1865). Dans la lignée des chants de travail solitaires, les field hollers, elle raconte les difficultés quotidiennes rencontrées par les esclaves noirs affranchis restés travailler pour le compte de leur ancien propriétaire ou partis chercher du travail dans les grandes villes du Nord. Elle dit aussi leur accablement face à l’envol des espoirs que l’émancipation avait fait naitre dans leur communauté – théoriquement libres, ils sont désormais obligés de se débrouiller seuls après des siècles d’esclavage et ils doivent faire face aux violences du Ku Klux Klan et à l’intransigeance de la ségrégation raciale.

Musicalement, cette douleur et ce mal être sont exprimés par l’introduction dans la mélodie de notes appelées "blue notes" qui viennent déstabiliser l’harmonie du chant.

Le blues va véritablement naître au début du 20e siècle avec l’apparition des chanteurs vagabonds allant de ville en ville armés d’une simple guitare pour chanter le mal de vivre des Noirs. La popularité du blues se développe dans les années 1920 avec le succès des enregistrements sur phonogrammes.

Les années 1900 : le jazz de la Nouvelle-Orléans

Depuis le début du 19e siècle, la capitale de la Louisiane voit cohabiter Français, Espagnols, Italiens et les descendants d’esclaves originaires d’Afrique. Tous partagent un même amour de la musique.

Au début du 20e siècle, le jazz nait du mélange de leurs différentes traditions : le ragtime, musique syncopée au rythme binaire issue du quadrille qui est généralement jouée au piano, le blues, différentes formes de chants religieux noirs et de musique populaire.

Son essor est facilité par l’intense tradition festive propre à la ville. Ce sont les fanfares qui sillonnent les rues, les orchestres qui jouent dans les parcs et qui accompagnent les fritures du samedi soir ou les bals de quartier. Musique accessible, spontanée et joyeuse, le jazz est fait à l’origine pour se rassembler et prendre du bon temps.

Louis Armstrong (1901-1971)

Il fait partie des figures auquelles on doit l’invention et la popularisation du jazz. Trompettiste virtuose et chanteur à la voix reconnaissable entre toutes, il inaugure l’ère du soliste dont les morceaux se démarquent du jazz instrumental d’origine, proche des fanfares et de leurs improvisations collectives.

Né dans un milieu défavorisé, il est sauvé de la délinquance par sa rencontre avec un professeur de musique. Il joue dans les orchestres, les fanfares et les clubs. Ne sachant pas lire les partitions, il compense en se servant de l’improvisation – il inventera le scat, exercice d’improvisation vocale sur de simples syllabes –  en enregistrant "Heebie Jeebie" (1926).

En 1922, il monte à Chicago et connait le succès avec son groupe le Hot Five. Ce succès se prolonge quand il s’installe à New York.

Dans les années 1950-1960, c’est une star. On le surnomme Satchmo – la contraction de "satchel mouth" (Bouche en forme de sacoche). Il multiplie les collaborations – notamment avec Ella Fitzgerald sur trois albums – et il se produit dans de nombreux pays comme ambassadeur culturel sous l’égide de Département d’État.

À partir des années 1960, il apparait davantage comme chanteur et il enregistre ses plus célèbres chansons "Hello Dolly" (1964) – qui devient numéro un des charts en pleine Beatlemania et "What a wonderful world " (1967).

L’improvisation, un air de liberté

La musique jazz est en grande partie l’art de l’improvisation. Un morceau de jazz comporte des parties écrites qui seront toujours jouées de la même manière et d’autres qui changent à chaque fois. L’improvisation ne s’improvise pourtant pas. Le musicien doit avoir en tête toutes les solutions techniques à l’avance. La maitrise technique de l’instrument, de solides notions harmoniques et rythmiques et une écoute attentive des autres musiciens sont indispensables pour créer sans tomber dans la cacophonie.

Les années 1930 : l’ère du swing

C’est le jazz des big bands (5 instruments à anche, 4 trompettes, 3 trombones, des percussions, une basse et un piano) menés à l’origine par les grands musiciens noirs – Louis Armstrong, Duke Ellington, etc. Le swing se développe dans le contexte de la crise de 1929 dans les boîtes de nuit de Harlem.

Au milieu des années 1930, sous l’influence de la vogue d’orchestres menés par des musiciens  blancs – notamment Benny Goodman, Artie Shaw – sa popularité dépasse le cercle de la communauté afro-américaine pour gagner un vaste public.

On cherche à oublier les difficultés économiques ainsi que l’inquiétude du quotidien et les divertissements bon marché ont le vent en poupe. On va voir des films de gangsters ou des comédies musicales au cinéma. On écoute du jazz à la radio et on sort au dancing pour danser le  swing. Cette musique enlevée, pleine d’énergie et de mouvement – d’où son nom – est un remède au marasme ambiant. Elle jouera aussi ce rôle pendant la deuxième guerre mondiale où elle soutiendra le moral des troupes et accompagnera les scènes de liesse observées lors de l’armistice. Entre 1935 et 1940, le swing est dans tous les esprits.

Duke Ellington (1899-1974)

Pianiste, chef d’orchestre et compositeur d’une œuvre qui compte parmi les plus larges de l’histoire du jazz - avec plus de 2000 compositions à son actif. Fer de lance du swing, il a écrit de nombreux standards comme "Mood Indigo", "Sophisticated Lady" ou "Take the A Train".

Celui que l’on surnomme "the Duke" apprend le piano enfant. À l’âge de 17 ans, il devient pianiste professionnel et compose ses premiers morceaux. En 1923, il rejoint New York et fonde son orchestre, the Washingtonians, avec lequel il donne ses premiers concerts en 1926 au Cotton club de Harlem. Son big band devient dès lors pour lui un véritable instrument. Alors que jusque-là, l’intention était de fondre les différentes tessitures en une voix unique, Duke Ellington défend la confrontation des voix dissonantes des musiciens et ses morceaux tirent profit du style et du talent de chaque soliste.

Lors d’une tournée en Angleterre en 1933, à l’apogée de l’ère du swing, il obtient une reconnaissance en tant que compositeur de musique "sérieuse" et son désir d’approfondir la composition s’en trouve décuplé. Après la deuxième guerre mondiale, sa notoriété décline au profit des nouveaux groupes de bebop et des crooners comme Frank Sinatra. Au festival de Newport en 1956, il renoue toutefois avec le succès et retrouve un public plus large. Il reçoit le prix Pulitzer et la légion d’honneur.

Les années 1940 : le bebop, l’orfèvrerie du jazz

Alors que les musiciens de jazz cherchent un nouveau terrain de jeu, le bebop émerge à New York au début des années 1940 notamment sous la houlette de Dizzy Gillespie et Charlie Parker.

Joué en petites formations – quintets ou sextets par exemple où saxophone, trompette, piano, batterie et basse sont à l’honneur, le bebop fait exploser les codes tapageurs du swing et des big bands des années 30. C’est un jazz exclusivement instrumental, rapide et nerveux, où mélodies et improvisations virtuoses sont liées. Plus qu’un divertissement, il se veut une forme d’art – d’où son surnom de "jazz pour intellectuels".

Dizzy Gillespie (1917-1993)

Un des plus importants trompettistes de jazz, John Birks Gillespie sera surnommé "Dizzy" (étourdi) en référence à sa personnalité fantasque. Populaire auprès du public pour son humour débordant et ses joues gonflées à bloc, il se distingue aussi par sa trompette au pavillon incliné vers le haut. Il figure parmi les fondateurs du style bebop et contribue à l’introduction des sonorités latino-américaines dans le jazz.

Initié au piano à l’âge de 4 ans, c’est en autodidacte qu’il apprend la trompette à l’âge de 12 ans. Trois ans plus tard, il gagne une bourse d’étude au prestigieux Laringburg Institute en Caroline du Nord qu’il quitte en 1935 pour rejoindre Philadelphie et entamer une carrière professionnelle. Dans les années 1930, il reçoit l’attention du trompettiste Mario Bauza, fondateur du jazz afro-cubain et rejoint différentes formations notamment celles de Cab Calloway et de Duke Ellington. Il développe ses propres éléments musicaux – vitesse de jeu, technique époustouflante et harmonies originales seront sa marque de fabrique.

Au début des années 1940, il privilégie les petites formations dans les clubs new-yorkais et joue avec les plus grands musiciens de jazz de l’époque, Thelonious Monk, Charlie Parker et John Coltrane. Le bebop est né. Il connait un succès foudroyant.

Dans les années 1950-1960, Gillespie collabore avec plusieurs compositeurs latino-américains contribuant à la création d’un autre style, le jazz afro cubain, qui connait une immense popularité. Il continue toutefois parallèlement à composer ses propres standards – "Groovin High" ou "Wood'n You" tout en enseignant le style bebop à de jeunes musiciens dont Miles Davies.

En 1956, il devient ambassadeur de musique pour le Département d’État et il enchainera concerts et tournées jusqu’à sa mort.

Focus sur les chanteuses de jazz

Ella Fitzgerald (1917-1996)

Celle que l’on surnomme "la Première Dame de la chanson" aurait eu cent ans en avril 2017. Icône de la musique américaine, ses capacités d’improvisation et en particulier son utilisation virtuose du scat en font une interprète exceptionnelle.

Issue d’un milieu très défavorisé et d’une nature très réservée, Ella commence à chanter après le décès de sa mère. À l’âge de 16 ans, elle participe à un concours de chant amateur organisé au fameux Apollo Theater de Harlem dont elle remporte le 1er prix. Elle est remarquée par le batteur Chick Webb, un des chefs d’orchestre les plus respectés de l’ère du swing, qui l’engage dans son orchestre. En 1938, alors qu’elle a tout juste 20 ans, ils enregistrent plusieurs morceaux dont la chanson pour enfant "A-tisket A-tasket" qui sera vendue à plus d’un million d’exemplaires. Après la mort de Chick Webb en 1939, Ella prend la direction de l’orchestre pendant trois ans - l’expérience est inédite pour une jeune femme noire à l’époque.

Déjà une figure respectée dans l’industrie du disque, elle entame une carrière en solo au milieu des années 1940. Dans les années 1950 et 1960, sa popularité est telle qu’elle dépasse le simple cadre des amateurs de jazz. En 1952, la maison de disque Verve est créée spécialement pour elle par le producteur Norman Granz. Elle enregistre avec les grands de l’époque – Billie Holiday, Louis Armstrong ou Dizzy Gillespie – et privilégie progressivement la variété. Avec Sinatra pour seul véritable rival, ses disques, dont "Summertime" ou "Cry me a river", remportent un succès phénoménal.

Malgré l’avènement du rock'n’roll et de la musique pop dans les décennies suivantes, son succès ne se dément pas en dépit d’une santé déclinante. À sa mort, au bout de 56 ans de carrière, elle aura vendu plus de 40 millions de disques et elle aura reçu de nombreuses récompenses dont plusieurs Grammy Awards et la National Medal of Arts.

Billie Holiday (1915-1959)

Unanimement reconnue pour son inimitable style vocal bluesy, Billie Holiday a apporté lenteur et rugosité aux standards de jazz jusque-là légers et enlevés. Son interprétation de la chanson "Strange Fruit" est un classique incontournable, précurseur des protest songs et du mouvement des droits civiques.

Eleanora Flagan nait en 1915 de parents très jeunes. Son père, Clarence Holiday, est joueur de guitare jazz dans l’orchestre de Fletcher Henderson. En 1928, il quitte le foyer et Eleanora tout juste adolescente part avec sa mère s’installer à New York. Pendant que cette dernière travaille dans des bordels, Eleanora décroche des cachets dans les clubs de Harlem – notamment l’Apollo Theater. C’est alors qu’elle adopte son patronyme comme nom de scène. En 1933, elle se fait remarquer par le clarinettiste Benny Goodman qui l’embauche dans son orchestre et en 1937, elle joue un temps avec l’orchestre de Count Basie où elle se lie d’amitié avec le saxophoniste Lester Young qui deviendra son alter ego et la surnommera "Lady Day".

En 1939, elle chante au Café Society la chanson "Strange Fruit" qui dénonce ouvertement les lynchages qui sévissent dans les états du Sud. Ce sera un tournant dans sa carrière. Si les années 1940 sont les meilleures sur un plan artistique, sa vie privée voit se succéder violence conjugale et addictions. Dans les années 1950, elle continue à se produire de par le monde mais sa santé décline rapidement et elle meurt en 1959 à l’âge de 44 ans.

Les années 1950 : le jazz afro-cubain, au-delà des frontières

Le style est un mélange de rythmes à base de claves, d’harmonies de jazz et de techniques d’improvisation.

En 1947, la collaboration entre Dizzy Gillespie et le percutionniste Chano Pozo apporte les rythmes cubains sur la scène jazz de la côte Est. De cette combinaison communément appelée le cubop naîtront de nombreux standards comme "Manteca" de Gillespie et Pozo.

Dans les années 1970, le cubop rejoint la scène de la Havane avec des groupes comme Irakere. En combinant les traditions musicales du Nord, du Sud et d’Amérique Centrale, le latin jazz célèbre la diversité et les points communs qui caractérisent la musique du continent américain.

Premier genre musical à rassembler noirs et blancs au sein des mêmes formations et à offrir un mode d’expression musicale aux problématiques sociétales du 20e siècle, le jazz a ouvert la voie à l’apparition de la majorité des musiques actuelles qui lui ont succédé, marquant rock'n'roll, soul, funk et hip-hop de son empreinte.